Progrès et obstacles : Gestion de la crise des opioïdes dans le Nord de l'Ontario
10 septembre, 2019 - Cela fait plusieurs années que les effets de la crise des opioïdes se font ressentir dans toutes les communautés du Canada. De nombreuses collectivités en ont subi les séquelles et elle pose toujours d’importants défis stratégiques à chaque palier gouvernemental. Cette crise ne donne aucun signe d’essoufflement en Ontario : les troubles liés à l’usage des opioïdes ont augmenté de 42 % de 2014 à 2017 et les visites à l’urgence liées à une intoxication aux opioïdes ont subi une hausse de 73 % entre 2016 et 2017.
Ce sont généralement les réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS) du Nord qui ont enregistré les taux les plus élevés d’abus et d’effets liés à l’usage des opioïdes. Comparativement aux régions du Sud de l’Ontario, le Nord se heurte à des obstacles uniques dans sa lutte contre la crise des opioïdes, ce qui rend le problème particulièrement grave. Pour améliorer la situation, il faudra élaborer des politiques et des solutions qui sont davantage axées sur la communauté et qui tiennent compte des réalités du Nord.
Différents facteurs sont à l’origine de la crise, mais en Ontario, la dépendance accrue aux opioïdes est surtout attribuable au fait que les médecins prescrivent trop de médicaments, ce qui a mené à un plus grand nombre de personnes qui deviennent dépendantes des opioïdes. Depuis ce temps, on a vu une diminution du nombre d’ordonnances d’opioïdes dans l’ensemble de la province et dans les RLISS du Nord-Ouest et du Nord-Est. Cependant, les personnes souffrant de troubles reconnus liés à l’usage d’opioïdes ont été laissées pour compte, se tournant vers des drogues illicites qui sont souvent plus dangereuses.
Pour affronter la crise, il faudra avoir recours à une combinaison de traitements de la dépendance, de stratégies de réduction des méfaits et d’initiatives et de services de prévention pour contrer les facteurs socio-économiques qui contribuent à la toxicomanie. L’accès au traitement est une préoccupation constante, car les gens sont toujours confrontés à des obstacles. Le traitement par agonistes opioïdes (TAO) constitue le traitement standard de la dépendance aux opioïdes, généralement par un traitement d’entretien à la méthadone (TEM). Le TEM consiste à administrer de la méthadone à la personne afin de prévenir les symptômes de sevrage des opioïdes. Cependant, l’inscription au TEM nécessite une ordonnance, et la méthadone doit être administrée tous les jours sous supervision. Dans certaines collectivités du Nord, ce traitement peut être difficile à obtenir en raison non seulement de la grave pénurie de médecins de soins primaires, mais aussi, dans certains cas, du manque de pharmacies ouvertes sept jours sur sept. De plus, tout comme l’accès à des établissements de traitement pour malades hospitalisés, le TEM peut nécessiter des déplacements réguliers, ce qui peut constituer un obstacle important en raison des risques possibles et des ressources nécessaires. Par exemple, les symptômes de sevrage peuvent poser de sérieux risques pour la santé dans les heures suivant la désintoxication. S’il n’y a pas suffisamment de ressources disponibles pour la gestion du sevrage, les déplacements pourraient être trop dangereux pour la personne traitée. Il faut aussi que celle-ci puisse se payer des services de transport ou que ces derniers soient offerts par un fournisseur de services ou de programmes. En plus du financement insuffisant, des ressources limitées pour les programmes et des obstacles culturels (p. ex., le savoir-faire culturel), ces facteurs nuisent tous à l’accessibilité à un traitement approprié de la toxicomanie dans le Nord de l’Ontario.
Quelques solutions sont apparues pour réduire les obstacles à l’accès à ces services, et on commence à les mettre en œuvre dans les collectivités du Nord de l’Ontario. La Suboxone, un médicament qui procure des effets similaires à ceux de la méthadone, est utilisée dans certaines régions pour remplacer le TEM. Puisqu’il n’est pas nécessaire de surveiller l’administration de chaque dose, ce qui permet aussi de distribuer plusieurs doses en même temps, il est plus facile d’y avoir recours. Depuis 2017, les infirmières et infirmiers praticiens ont le pouvoir de prescrire des substances contrôlées, comme les médicaments TAO, afin de réduire les effets de la pénurie de médecins. Ces changements permettent aux communautés de concevoir et de mettre en œuvre leurs propres programmes en fonction de leurs besoins physiques, sociaux et culturels. Les cliniques d’accès rapide pour le traitement de la toxicomanie (ARTT), qui se multiplient également dans le Nord de l’Ontario, peuvent offrir un accès plus facile sans rendez-vous ou sans recommandation médicale pour aider les personnes souffrant d’un trouble lié à la toxicomanie. Comme les cliniques d’AART, les cliniques de méthadone et de Suboxone à haut volume sont de plus en plus nombreuses et peuvent se substituer à un médecin de soins primaires pour prescrire la méthadone et la Suboxone, ou pour aiguiller ces personnes vers d’autres services. Cependant, ces cliniques ont de faibles taux de rétention, contrairement aux autres programmes de TAO dont les taux de rétention sont généralement très élevés dans le Nord de l’Ontario. Il sera essentiel de faire le suivi des résultats des patients de ces cliniques afin de bien comprendre leurs avantages et leurs inconvénients. Aussi, ces derniers ne sont pas en mesure de traiter les problèmes de santé mentale qui vont souvent de pair avec les troubles liés à l’usage de substances. L’intégration des TAO aux soins de santé mentale et au soutien social est un élément clé pour assurer un traitement efficace.
Des progrès importants ont été réalisés en matière de stratégies et de programmes de réduction des méfaits dans l’ensemble de la province. Quelques communautés et organismes régionaux, comme le Northwestern Health Unit, ont mis sur pied des programmes d’échange de seringues pour réduire les risques pour la santé associés au partage d’aiguilles et pour assurer leur élimination sécuritaire. Les trousses de naloxone, un médicament qui peut être administré pour inverser temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes, sont disponibles gratuitement dans tout le Nord de l’Ontario, et les deux RLISS de la région en distribuent beaucoup dans les pharmacies. Pour élargir ces programmes, notamment les programmes d’échange de seringues, il faudra faire évoluer les mentalités de la population envers les utilisateurs de drogue.
Pour continuer à lutter efficacement contre les troubles liés à l’usage des opioïdes, il faut se concentrer sur les efforts visant à réduire la fragmentation des soins, à rendre les traitements plus accessibles, et à cibler les déterminants sociaux de la santé. Les progrès réalisés dans les stratégies de réduction des méfaits et l’élaboration d’une TAO plus adaptable et plus accessible constituent un pas positif et important dans la bonne voie, mais il faudra encore faire des efforts pour enrayer la crise des opioïdes dans le Nord de l’Ontario.
Gabriella Rabaa sont des analyste politique d'étéà l'IPN.
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