Le gouvernement est toujours injuste envers queleu'un : il n'a pas le choix
le 19 mars 2018 - On ne peut pas gagner à tous les coups. Ces derniers mois, c’est la leçon qui a été rappelée aux petits entrepreneurs de l’Ontario aux prises avec des coûts découlant de décisions dictées par les politiciens.
Tout d’abord, le gouvernement fédéral a décidé qu’il allait augmenter les taxes sur les placements passifs détenus au sein des sociétés (ou, plus exactement, réduire sensiblement les exemptions fiscales s’y appliquant). Cette décision a été accueillie par les hurlements d’indignation des petites entreprises et de leurs groupes de pression (car n’oublions pas qu’au Canada, les médecins sont pour l’essentiel de petites entreprises).
Parallèlement, le gouvernement de l’Ontario a augmenté le salaire minimum, avec comme résultat une indignation similaire de la part des mêmes petites entreprises et groupes d’entrepreneurs. D’un côté, le public a largement soutenu les petits entrepreneurs, contraignant le gouvernement fédéral à réduire l’ampleur des changements envisagés. De l’autre côté, le salaire minimum est désormais de 14 dollars en Ontario, et passera à 15 dollars l’année prochaine. Pourquoi deux conclusions si différentes?
Commençons par le commencement. Comme ceux qui s’opposent au système fiscal se font une joie de vous l’expliquer, le gouvernement ne peut prendre aucune mesure sans commencer par prendre quelque chose tout court, c’est-à-dire votre argent. Contrairement aux entreprises du secteur privé, le gouvernement n’attire pas d’investissements et ne crée pas de produits qu’il pourrait revendre pour en tirer des recettes qui seraient alors redistribuées aux salariés, aux fournisseurs et aux investisseurs. La loi l’autorise à s’emparer de votre argent, en menaçant de recourir à la force si nécessaire. C’est un exercice intrinsèquement injuste, du moins pour ceux dont les fonds sont pris.
Toutefois, comme les partisans du système fiscal s’empressent eux aussi de le souligner, sans impôts, il n’y aurait pas de services : pas de routes, pas d’écoles, pas d’hôpitaux, pas de services policiers, pas de services de lutte contre les incendies, pas de garderies subventionnées et pas d’incitatifs fiscaux pour aider les personnes qui s’occupent de leurs parents vieillissants. On peut ergoter au sujet des services que le gouvernement devrait fournir ou subventionner, et d’ailleurs, on ne s’en prive pas.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les opposants et les partisans du système fiscal ont raison tous les deux. Sans cette injustice initiale consistant à prendre votre argent, il n’y aurait pas de programmes et de services gouvernementaux. Le gouvernement, par définition, doit toujours être injuste vis-à-vis quelqu’un. Par conséquent, le gouvernement fédéral comme le gouvernement provincial faisaient leur travail en décidant d’être « injustes » à l’égard des petites entreprises.
Le secret est de trouver le juste équilibre entre injustice et prestation de services. Les études concernant les politiques publiques regorgent d’analyses intelligentes expliquant comment y parvenir. Ainsi, Paul Brown, l’un de mes amis et mentors, indique dans les notes de cours de son analyse Introduction to Public Policy les cinq critères suivants : efficacité, efficience, adéquation administrative, faisabilité politique et équité.
Sans vouloir manquer de respect à M. Brown, quand j’ai eu l’occasion de donner ce cours, j’ai présenté ces critères dans un langage qui m’a semblé plus marquant. J’ai suggéré que les acteurs politiques devaient se poser cinq questions : est-ce que cela fonctionnera? Est-ce qu’on peut payer pour ça? Est-ce qu’on peut le faire? Est-ce qu’on peut le justifier? Est-ce injuste envers les bonnes personnes?
Depuis, j’ai compris que ces deux dernières questions étaient dans une large mesure les plus pertinentes au moment où les acteurs politiques, voire les fonctionnaires qui les conseillent, prennent leurs décisions. Cela ne veut pas dire que les autres questions sont ignorées, mais simplement qu’elles comptent moins.
Quand il a décidé de taxer les placements passifs, le gouvernement fédéral a eu du mal à expliquer en quoi consistaient lesdits placements ou à qui profiterait cette imposition plus lourde. Dans les faits, le gouvernement se montrait injuste sans aucune raison claire pour étayer cette décision. Par conséquent, il se trouvait dans l’impossibilité de la justifier. S’agissant de l’augmentation du salaire minimum, les bénéficiaires de cette mesure étaient aussi flagrants que véhéments. Si vous devez choisir entre être injuste vis-à-vis d’une « entreprise anonyme » ou d’une « mère célibataire élevant trois enfants », la décision est bien plus facile à prendre et à justifier.
Ce qu’il nous faut retenir, particulièrement à mesure que l’échéance électorale se rapproche, c’est que même si aujourd’hui ne semble pas être le moment idéal pour que le gouvernement se montre injuste à votre égard, ce sera peut-être le cas demain. Agissez en conséquence, et tenez-en compte au moment de demander plus de services et moins d’impôts.
Charles Cirtwill est président et chef de la direction de l’Institut des politiques du Nord.
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