Guide du Programme des travailleurs étrangers temporaires : répercussions pour le Nord
le 29 juillet 2018 - De 2002 à 2012, le nombre de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires (TET) au Canada a triplé, passant de 101 078 à 338 221alors que les entreprises ont augmenté leur recours au programme, souvent en vue d'accéder à une main-d’œuvre moins chère. Conséquemment, en juin 2014 le gouvernement a appliqué une série de réformes au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) afin d'assurer que le programme soit utilisé aux fins prévues, c'est-à-dire comme dernier recours pour les employeurs incapables de pourvoir des postes avec des travailleurs canadiens.
À l'heure actuelle, le PTET comprend plusieurs sous-programmes, y compris le volet des métiers peu spécialisés et celui des professions plus spécialisées, ainsi que le programme des aides familiaux résidants et celui des travailleurs agricoles saisonniers. Cependant, depuis sa création en 1973, jusqu'en 2002, le PTET n'était offert que pour les professions de haute spécialisation. L'ajout des volets pour les travailleurs peu qualifiés en 2002 a entraîné une croissance importante du programme, et un plus grand nombre d'employeurs y ont participé. Au fur et à mesure que le programme a pris de l'ampleur, on a aussi vu l'augmentation de problèmes comme le mauvais traitement des travailleurs.
La série de réformes mises en place en 2014 visait à réduire le nombre de TET ainsi que l'incidence de problèmes relatifs aux mauvais traitements. D'abord, les réformes ont changé les avis relatifs au marché du travail (le processus utilisé par les employeurs pour déterminer s'ils étaient admissibles à embaucher des TET) en faveur d'une évaluation plus rigoureuse de l'impact sur le marché du travail (EIMT). L'EIMT est un outil utilisé par Emploi et Développement social Canada (EDSC) pour déterminer l'incidence d'un PTET sur le marché du travail local (c.-à-d. négative, neutre ou positive). Si le résultat n'est pas positif ou neutre, la demande de l'employeur pour un TET est refusée. Il y a toutefois certaines exemptions, notamment pour les travailleurs embauchés dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI) et de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ou d'autres accords internationaux semblables.
D'autres réformes comprenaient : une augmentation des frais pour les demandes, soit de 275 $ à 1000 $; l'utilisation de données sur les niveaux de salaires et l'assurance-emploi (AE) au lieu de la Classification nationale des professions pour évaluer l'admissibilité en fonction des régions économiques (RE); l’interdiction d’embaucher des TET pour les secteurs de la vente au détail, de l'alimentation et de l'hébergement dans les RE où le taux de chômage est supérieur à 6 %; l’exigence que les employeurs augmentent leurs efforts d'affichage des postes vacants; l'exigence que les employeurs augmentent la formation des employés actuels pour pourvoir un poste vacant avant d'embaucher un TET; et la mise en place de sanctions plus sévères pour les entreprises qui ne se conforment pas aux règlements.
Les réformes de 2014 semblent avoir réussi à réduire le nombre de TET au Canada. En fait, le nombre de postes ayant reçu une EIMT positive a diminué considérablement après 2014. On a également vu une diminution du nombre global de demandes d’EIMT présentées à l'EDSC après 2014. Bien que les demandes globales et les EIMT positives aient diminué, le Rapport du vérificateur général de 2017 d'EDSC a révélé que les réformes proposées en 2014 n’avaient pas toutes été mises en œuvre et que le programme était encore mal utilisé. Il est donc possible que le nombre plus faible de demandes soit attribuable à l’augmentation des droits à 1000 $, ainsi qu’à l’interdiction des travailleurs dans certains secteurs de services lorsque le taux de chômage dépassait le seuil de 6 % au moment de la mise en œuvre de ces réformes.
Figure 1 : Postes EIMT approuvés au Canada, 2008-2015
Source : Programme des travailleurs étrangers temporaires, Statistiques sur les EIMT, 2008-2015
Comme il a été mentionné, l’une des réformes proposées était l’utilisation des données sur l’AE et les niveaux de salaire selon l'EDSC pour déterminer l’admissibilité des travailleurs. Toutefois, le Rapport du vérificateur général 2017 a révélé qu’EDSC n'appliquait pas les données ou n’avait pas accès aux données nécessaires. D'une façon ou d'une autre, cette réforme présente encore des défis. En effet, les régions économiques ne représentent pas un moyen efficace de raconter toute l’histoire de l’emploi, car il peut y avoir des collectivités dans la région qui font face à des pénuries graves tandis que d’autres régions sont confrontées à un taux de chômage élevé, comme c’est le cas dans la région économique de Jasper en Alberta. Ainsi, même si la réforme elle-même n’a pas été mise en œuvre dans tous les cas, il est important de se demander si l’utilisation des niveaux d’emploi régionaux est la façon la plus efficace de déterminer l’admissibilité des travailleurs étrangers temporaires et si ces réformes permettent vraiment d’équilibrer les besoins des travailleurs étrangers temporaires et des travailleurs et employeurs canadiens.
Dans l’ensemble, la mise en œuvre des réformes en 2014 pour freiner l’utilisation du PTET a fait passer le message aux Canadiens que le programme était nuisible et qu'il enlevait des emplois aux Canadiens. Toutefois, comme l'a déclaré Reis Pagtakhan, « ce n’est pas parce que des Canadiens sont sans emploi dans une région qu’on n’a pas besoin de travailleurs étrangers temporaires dans d’autres régions du pays ». On peut soutenir que les réformes ont eu des répercussions disproportionnées sur certaines régions géographiques, comme le Nord de l’Ontario, qui auraient été punies pour les actions des quelques personnes qui ont abusé du programme. Les niveaux d’AE dans les régions économiques ne tiennent pas compte de la diversité des collectivités de la région. Ainsi, un taux de chômage régional plus élevé empêchera les employeurs de combler les pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs comme la vente au détail, la restauration ou les services d’hébergement, car les données indiquent qu’un travailleur canadien pourrait pourvoir ces postes. Toutefois, les Canadiens pourraient ne pas être disposés à déménager dans la collectivité où se trouve l’emploi, ou ils pourraient être réticents à accepter ces emplois peu spécialisés (ce qui est particulièrement vrai dans les industries de l’agriculture, de la restauration rapide et du conditionnement des viandes).
Figure 2: Postes EIMT approuvés en Ontario, 2008-2015
Source : Programme des travailleurs étrangers temporaires, Statistiques sur les EIMT, 2008-2015
Que peut-on donc faire pour le Nord de l'Ontario? Deux choses, en fait : modifier les exigences de l'EIMT, et analyser ce que le Manitoba a mis au point en vue d'améliorer la surveillance de ce programme.
Les régions du Nord de l’Ontario cherchent des moyens d’attirer des résidents, qu’il s’agisse de migrants locaux, interprovinciaux ou internationaux. Selon la structure actuelle du PTET, ce sont les travailleuses et travailleurs hautement qualifiés qui obtiennent la résidence permanente grâce au Programme ontarien des candidats à l'immigration. Le Canada doit envisager une option semblable pour que les travailleurs peu qualifiés puissent également obtenir la résidence permanente. Ainsi, les personnes embauchées dans le cadre du PTET pourront demeurer dans des endroits comme le Nord de l'Ontario. À l’heure actuelle, cela est prévu au Manitoba par l'entremise du Programme des candidats des provinces (PCP). De plus, le Canada pourrait envisager de modifier la façon de mesurer le chômage pour déterminer l'admissibilité. Par exemple, au Manitoba, les pénuries de main-d'œuvre sont déterminées lorsque les employeurs peuvent démontrer leur incapacité d'embaucher des citoyens canadiens sur une période donnée. Cette réforme permettrait aux entreprises du Nord de l'Ontario de démontrer que même si le taux de chômage est élevé dans l'ensemble de la région économique, elles n'ont pas été en mesure de recruter des travailleuses et travailleurs canadiens pour des postes particuliers.
De concert avec le PCP et la réforme des critères d'admissibilité au chômage, le Canada doit réévaluer la réglementation selon laquelle la main-d'œuvre d'une entreprise ne doit compter que 10 % de travailleurs étrangers temporaires. Pour les collectivités rurales et du Nord, cette limite empêche les employeurs de recruter des travailleurs en cas de pénurie de main-d'œuvre pour des postes qui ne peuvent être pourvus par des citoyens canadiens. Bien que cette réforme ait été introduite pour inciter les employeurs à embaucher des citoyens canadiens, il existe déjà suffisamment de règles pour assurer la surveillance, y compris les exigences en matière de salaire, de publicité et de formation ainsi que celles relatives aux mises à pied et à la réduction des heures de travail.
Le PTET du Manitoba démontre que les travailleuses et travailleurs temporaires sont bénéfiques pour l'économie locale, tout en veillant à ce que ceux-ci soient traités équitablement. En 2009, le Manitoba a adopté la Loi sur le recrutement et la protection des travailleurs. Cette loi oblige les entreprises à obtenir un permis de travail auprès de la province en plus des permis fédéraux exigés pour les travailleurs étrangers temporaires. Cette exigence permet à la province d’inspecter les entreprises pour s’assurer que les conditions de travail des TET sont adéquates. Toutes les entreprises qui ne se conforment pas aux règlements sont passibles de sanctions et peuvent se voir interdire d'embaucher d'autres TET. L'approche manitobaine au PTET est considérée comme un modèle à suivre pour les autres provinces.
La série de réformes de 2014 a été le résultat de la mauvaise utilisation et de la croissance considérable du PTET. Bien que ces réformes aient réussi à réduire le nombre de demandes d'EIMT, leurs répercussions sur les collectivités rurales et du Nord n'ont pas été prises en compte. Les modifications apportées au PTET et à l'EIMT peuvent aider à attirer les travailleuses et travailleurs dans la région et combler les pénuries de main-d'œuvre créées par le vieillissement et le déclin de la population ainsi que par l'exode. L'Ontario peut s'inspirer du modèle manitobain pour combiner les besoins du marché du travail avec ceux des Canadiens et des travailleurs étrangers temporaires.
Winter Lipscombe est une stagiaire en relations publiques à l’Institut des politiques du Nord.
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