Économie du nudge et respect des obligations fiscales
30 juin, 2015 - Le tout dernier ballon étincelant du monde de la politique mondiale pourrait bien être l'économie du nudge (ou du coup de pouce). D'une part, je suppose qu'il est bon que le personnel des gouvernements se penche sur des ouvrages d'économie. D'autre part, ce personnel ne paraît pas étudier trop attentivement ces ouvrages puisqu'il ne semble pas comprendre la différence qui existe entre économie du nudge et économie.
Si vous suivez le cours Ec101, vous apprendrez quelque chose sur l'hypothèse de la rationalité. Celle-ci signifie que les gens prennent des décisions qui font leur bonheur. Ces décisions peuvent sembler bizarres, absurdes et « irrationnelles » à certains observateurs, mais en économie (c'est-à-dire Ec101), il y a la condition qu'un jugement ne soit pas porté sur les préférences sous-jacentes des décisions de quelqu'un. Le fait que Mike Moffat saute sur un pied en lançant des gommes à effacer à ses élèves lorsqu'il enseigne cette notion ne signifie pas qu'il est irrationnel. Il est alors rationnel parce que cela fait son bonheur (ses élèves comprennent la notion).
Mais, un instant, dites-vous. Les gens font souvent des choses irrationnelles et cela porte à penser que l'économie c'est de la foutaise. Eh bien, vous voudrez peut-être d'abord lire ceci, mais vous pourriez aussi suivre au cours vous permettant d'aller au-delà d'Ec101. Nous faisons parfois des erreurs lors de la prise de décisions parce que nous n'avons pas la bonne information; que nous comprenons mal quelque chose, tel le risque ou l'information; parce que nous sommes distraits; que les coûts et avantages de l'option sont presque égaux à ceux d'une autre; en raison d'une mentalité de troupeau, etc. Alors, nous voulons prendre la décision A, mais, pour une raison quelconque, nous optons pour la décision B.
Un bon exemple de cela est le don d'organe. Presque tous disent qu'ils veulent donner leurs organes à leur décès, mais très peu s'inscrivent effectivement afin de devenir donateur d'organes. Pour être inscrit comme donneur d'organe, il y a le coût de l'inscription et, par inertie, vous n'en faites rien. Alors, la décision rationnelle est de vous inscrire, mais c'est une décision irrationnelle que nous observons.
C'est ici qu'intervient le nudge (le coup de pouce). Celui-ci est une approche efficiente pour assurer la conformité volontaire à une demande, habituellement par un changement apporté à l'architecture du choix, afin qu'une décision rationnelle soit prise. Ainsi, au lieu d'avoir à vous inscrire pour devenir un donneur d'organes, nous changeons le choix, et il vous faut maintenant vous inscrire pour ne pas devenir un donneur d'organes. C'est dire que passer d'un système à option de participation à celle de non-participation est l'économie du nudge simple. Des techniques semblables ont été utilisées pour l'épargne-retraite.
Ce n'est pas la même chose qu'une mesure incitative. La mesure incitative sert à changer un choix rationnel. Alors une taxe de Pigou, telle la taxe sur le carbone, est de l'économie pure, fondée sur la rationalité. Ce que je constate lorsque j'assiste à des séances où des représentants du gouvernement parlent d'économie du nudge, c'est qu'ils ne comprennent pas la différence qui existe entre économie du nudge et économie. Pendant qu'ils parlent de nudge, les interventions, les suggestions et la formulation sont toutes en rapport avec des mesures incitatives, pures et simples.
Un de ces domaines où les gouvernements veulent recourir à l'économie du nudge est celui du respect des obligations fiscales. Après tout, le nudge est entièrement à propos de la conformité volontaire efficiente à une demande, ce qui est pas mal notre façon d'administrer notre système fiscal. Pour ce faire, nous devons comprendre que le nudge ne fonctionnera pas pour les gens qui sont des fraudeurs fiscaux typiques. Il ne fonctionnera pas pour ceux chez qui la fraude fiscale est une décision rationnelle. Ce sont là des gens qui ont des attitudes négatives fermes face aux paiements fiscaux; une moindre aversion pour le risque; ne craignent pas de se faire prendre; comprennent les conséquences; se conforment à une norme sociale stricte au regard de la fraude fiscale. Pour ces personnes, nous avons des mesures incitatives. Le nudge fonctionnera avec ceux qui ont fait une erreur, ne comprennent pas la règle, manquent d'information, suivent le troupeau, comprennent mal les risques, etc.
Il y a un certain nombre de tests de la théorie du nudge, axés sur le respect des obligations fiscales. Des formulaires déjà remplis, portant quelqu'un à faire sa déclaration de revenus, ont permis d'augmenter le nombre de ceux qui le faisaient. La raison est simple, l'approche pour la demande des revenus est, pour de nombreux non-déclarants, un facteur important du respect des obligations fiscales. Pourtant, nous avons ce rapport du R.-U. qui montre qu'il y a peu de données prouvant une conformité supérieure aux obligations fiscales si les formulaires sont déjà remplis, lorsqu'il s'agit de ceux qui le font déjà. Par l'envoi d'un formulaire déjà rempli, les autorités fiscales tendent la main au contribuable. Il y a pour un contribuable peu de mesures incitatives pour lui faire divulguer du revenu additionnel qu'ignorent les autorités fiscales.
Le R.-U. a utilisé des lettres fiscales affirmant que la majorité des personnes payaient à temps leur impôt; une hausse de 15 % des déclarations parvenues en temps opportun a suivi. Toutefois, lorsque la Suisse, la France et le Minnesota ont eu recours à la même méthode, ils n'ont pas trouvé de changement pour la conformité. Cela nous dit que, comme toujours, nous devons être prudents lorsqu'il s'agit de généraliser des constations découlant de méthodes qui ne le permettent pas (causalité 101).
Dans du travail intéressant a aussi été examiné si le fait de dire aux contribuables à quoi a servi leur argent les aidait à respecter leurs obligations fiscales. La réponse a été négative. Au contraire, la situation a empiré. Ce qui a beaucoup favorisé la conformité à la demande (16 %), c'est de laisser le contribuable affecter une partie de son paiement d'impôt à un programme particulier.
Avec certaines de ces interventions avec nudge, la difficulté a été de courir le risque d'une non-conformité future à la demande si ces interventions ciblent les mauvaises personnes ou si les contribuables ont l'impression de ne pas être traités respectueusement. Cela signifie que tout le travail avec nudge, en rapport avec la conformité à la demande, peut être annulé par un mauvais pas de l'ARC (sa communication avec les contribuables est historiquement moche) ou des messages de politiciens (tels ceux d'Ottawa qui suggèrent déjà que l'impôt est un sale mot).
Alors que pourrait faire l'ARC pour faire respecter davantage les obligations fiscales?
J'ai déjà parlé de loteries fiscales, ce qui est un très bon exemple d'économie du nudge et de respect des obligations fiscales. C'est aussi une excellente idée que l'ARC s'en serve pour les industries embêtantes de l'argent comptant, telle cclle de la rénovation.
Toutefois, la plus simple de toutes les techniques du nudge dans le domaine du respect des obligations fiscales est de faire communiquer les données par des tiers. En effet, cela peut fonctionner comme un nudge. Pensez aux pourboires. Du simple fait de recourir à la déclaration par un tiers, ce qui est déjà exigé pour les pourboires contrôlés, vous modifiez l'architecture des options reliées à la déclaration des pourboires. Un autre domaine est le revenu de location, où l'ARC peut demander aux locataires de déclarer leur loyer et ensuite apparier cela aux revenus des propriétaires.
Je souhaiterais davantage d'activités de l'ARC dans ce domaine, mais espère aussi qu'elle prenne le temps de comprendre ce qu'est le nudge (ou ce qu'il n'est pas), les gens à viser et ce qui fonctionnera au Canada. Il n'y a pas que quelques universitaires qui seraient ravis de participer à de tels projets, en échange de possibilités de publication évidemment.
Auteur : Lindsay Tedds, Ph. D. Article initialement publié au blogue de Lindsay Tedds, Ph. D. : Dead for Tax Reasons et republié avec l'autorisation de l'auteur.
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